04 Juil

Mes très chers doutes

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Mes très chers doutes,

Il y a longtemps qu’on se côtoie, vous et moi, et je n’ai pourtant jamais pris le temps de vous écrire. C’est un élan de gratitude qui me traverse aujourd’hui et une irrésistible envie de vous dire « merci ! ».

Si j’essaie de me remémorer à quand remonte notre première rencontre, je ne suis pas sûr (et c’est heureux!) de trouver la bonne date ni même la tranche d’âge. J’ai presque l’impression que vous avez toujours été à mes côtés. Si je garde une conviction (car oui, j’en ai quelques-unes), c’est que vous êtes en grande partie responsables de mon évolution. Tant de fois ai-je failli m’enfermer dans des certitudes ! Souvenez-vous par exemple de toutes ces situations où, découvrant un environnement nouveau, des pratiques nouvelles, des gens qui pensent autrement, j’ai été tenté de porter un jugement sans appel et d’affirmer l’idée que mes croyances étaient la meilleure et l’unique voie. Heureusement, vous, mes doutes, n’étiez pas loin et avez su vous manifester à moi pour élargir mon angle de perception. Oh ! Bien sûr, il m’arrive encore souvent d’être hermétique à vos murmures et de claquer la porte au nez du premier point de vue différent qui s’offre à moi. J’en sors alors rarement gagnant, surtout lorsqu’il s’agit d’entrer en communication avec mes semblables.

Mais j’ai appris avec le temps à sentir votre présence et à en percevoir les bienfaits. Si vous n’aviez pas été là, à quoi ressemblerais-je aujourd’hui ? Probablement serais-je pétri de certitudes dans beaucoup de domaines. Toute conversation avec moi mènerait alors soit à l’adhésion inconditionnelle (dans le meilleur et plus rare des cas), soit à la guerre ouverte dès lors qu’un avis contraire au mien serait exprimé, soit à la prise de pouvoir. L’enfer !
Qu’il m’est doux de me dire que l’autre a le droit de penser le contraire de moi sans que cela ne me dérange !
Qu’il m’est précieux de m’autoriser et accepter d’avoir tort, de m’être trompé et de pouvoir me ranger à un avis plus éclairé, sans pour autant m’en sentir dévalorisé !
Qu’il est bon de sentir comment toutes ces occasions sont autant d’opportunités d’évoluer vers plus de conscience et d’ouverture d’esprit !
Sans vous, j’aurais surement pour habitude de traiter les gens de cons, de crétins et d’autant d’autres marques de condescendance et de suffisance ; ce serait cela mon pauvre système d’auto-rassurance. J’aurais cette colère à fleur de peau, que je déverserais sur les autres en toute occasion pour me cacher à moi-même que je m’accepte difficilement comme je suis. Je ne supporterais pas que quelqu’un m’enseigne ou me conseille en quoi que ce soit car cela pourrait signifier que j’ai une faille et des lacunes. Je préférerais alors stagner et rester dans les mêmes schémas indéfiniment. Peut-être même que sans vous, mes chers doutes, je vieillirais mal et deviendrais aigri… Puissiez-vous m’épargner cela le plus longtemps possible.

Soyons toutefois honnêtes, il est bien des situations où j’aimerais que vous vous tinssiez à distance. Ce serait tellement plus confortable pour moi de pouvoir m’exprimer avec conviction, d’offrir un discours, une conférence ou un concert sans entendre cette petite voix intérieure que vous utilisez pour me questionner et qui me déstabilise. Lorsque je parviens à la faire taire ou à ne pas l’écouter (oui, cela m’arrive parfois), je sens combien la spontanéité et la générosité peuvent s’exprimer et s’épanouir avec plus d’espace. Allez ! J’ose vous demander une petite faveur, la voici : tentez de percevoir ces petits instants où vous pouvez me lâcher la main et vous effacer pour me laisser expérimenter d’autres méthodes de conduite. J’en assumerai alors toutes les conséquences et ne vous tiendrai responsables d’aucun accident.

Mais pour le reste, mes très chers doutes, ne changez rien. Restez près de moi et continuez de tenir ma conscience en éveil, d’entretenir mon goût pour les nouvelles expériences et de garder mon sens du mouvement en alerte.

Avec toute mon affection,

Samuel